Cinq textes courts : arbres singuliers de l'île Nancy

Arbre isolé

Peuplier d'italie arbre remarquable de l'île NancyPopulus nigra var. italica (peuplier d’Italie)

 

 

 

 

Visible des rives de la Seine, ce peuplier d’Italie est un oriflamme dressé sur l’île Nancy pour en attester la conquête. Sa silhouette élancée est un artifice familier des paysages habités, un archétype sous contrôle dont la propagation dépend exclusivement de l’homme. Les peupliers en effet, noirs, blancs, grisards ou trembles, portent soit des fleurs mâles soit des fleurs femelles, ce qui détermine leur rôle dans la reproduction de l’espèce. Or le peuplier d’Italie est issu de la mutation génétique d’un peuplier mâle et on n’en connaît aucun spécimen femelle. Les botanistes n’ayant jamais obtenu, par la fécondation de proches cousines, un arbre aussi parfait que l’original, c’est donc le même sujet que l’on multiplie par bouturage depuis son introduction en France au 18ème siècle

Reproductible à l’infini, désespérément égal à lui-même, ce clone est une version contrainte et domestiquée du peuplier noir, qui quant à lui pousse des branches hardies dans des directions excentriques, ce qui lui donne un air sauvage et hirsute, celui d’un arbre indompté dont la sexualité s’exprime à tous vents.

Uniforme, frémissant, corseté, le peuplier d’Italie élève ses branches en un faisceau vertical et inextricable, se privant de toute envergure au seul bénéfice de la hauteur. Fuselé et prévisible, il se prête à l’alignement et pour cela sans doute doit-il une grande part de son succès au Général Bonaparte, amateur de revues martiales, qui l’implanta largement chez nous après l’avoir remarqué en Lombardie. Un brave soldat de bois, une armée de clones enrégimentés !

Celui-ci paraît être un vétéran égaré au reflux d’une campagne, une sentinelle abandonnée, raidie par le gel, et cette solitude glacée lui confère un air d’épouvante.

L’été il s’adoucit, il bruisse de la vie à ses pieds. Sur ce navire qu’est île, en secret ancrée, de phare il mue en vigie. On lui prête alors des rêves de régates et de joutes, des songes fluviaux.

Veilleur figé dans l’attente d’un départ dont il retient à jamais le signal.

arbre singulier détail

Texte extrait du catalogue « Parcours Art & Nature sur l’île Nancy », Andresy (Yvelines) été 2012.

À lire au pied de l’arbre !

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