Cheminement

Une revue de bâches !

Juin 2016.

Je veux définir l’itinéraire pour me rendre dans le Tarn sur un verger à graines de douglas, dans lequel je vais travailler en août prochain. Mais si la carte routière mentionne bien le village de Salvagnac, j’y chercherais en vain toute mention de ce verger dont je n’ai aucun souvenir, sauf qu’il est situé dans la région de ce village. Mon seul recours est de me reporter, sur le web, aux vues aériennes des forêts alentour. C’est ainsi déjà que j’avais trouvé mon chemin en 2013, pour mon premier chantier sur ce site. En parcourant à travers l’oeil d’un satellite chaque hectare des forêts autour du village qui était mon seul repère, pour y découvrir enfin une parcelle d’arbres disposés en rangs bien parallèles. Une géométrie qui rompt la texture homogène et indifférenciée de la canopée des forêts de cette région, composée de chênes et autres feuillus. Choisie pour cette raison pour l’implantation de ces douglas, puisque le  principe de base d’un verger à graines est d’éviter toute fécondation parasite par d’autres arbres de la même espèce, au cas où ils se trouveraient à vol de pollen.

Je ne parviens pas cette fois à localiser le verger, que je cherche dans une vaste zone de forêt au nord de Salvagnac. Sur le village, aucun doute : je distingue même la terrasse où, face à un étang, on dîne de magrets de canards.
J’essaie à plusieurs reprises de suivre sur la photo la route sensée nous conduire de cet étang à la forêt, mais il me faut virer à droite pour découvrir, enfin, le vaste pré brûlé que l’on traverse pour rejoindre … si peu d’arbres ? Quelques rangs clairsemés, discontinus, quelques bosquets seulement, et l’on aurait matière à récolte sur une si maigre forêt ? Je tombe des nues.
Et je suis plus surpris encore lorsque j’agrandis, sur mon écran, l’affichage d’une zone parsemée de petits points blancs. Qui se révèlent êtres des voitures. Et je découvre enfin, autour de quelques arbres, les bâches bleues qui recueillent notre récolte ! Non seulement je viens de retrouver, par le biais d’une photographie satellitaire, le site de mon prochain chantier, mais nous y sommes en plein travail !
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Le jeu ensuite serait de poursuivre l’investigation pour déterminer qui composait cette équipe le jour de la prise de vue. Je n’y vois pas le fourgon rouge de B., qui serait un indice infaillible au milieu de tous ces véhicules blancs, mais la tente orange est bien en place, et ce petit trait vermillon ne serait-il pas ce fourgon, finalement ? Garé sous les branches d’un douglas pour rafraîchir une sieste prolongée ?
Nous avons entendu parler d’un incendie, sur ce verger, qui aurait ravagé une grande partie du peuplement. Cela expliquerait une si faible densité d’arbres. Sur le site de l’Institut Géographique National, je collecte des photographies aériennes sur lesquelles les rangs sont bien visibles et les arbres déjà clairsemés, ce qui tendrait plutôt à démontrer que dès l’origine ni le terrain ni le climat peut-être ne convenaient à cette essence résineuse, le douglas, originaire de la côte ouest des États-Unis. Mais aujourd’hui, les graines issues de ce verger du Tarn sont prisées pour toute plantation de douglas dans le sud de la France. On attend là un effet de l’adaptation – laquelle serait si rapide ? – de ces arbres au climat local.
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Ci-dessous une série de clichés IGN, en remontant le temps : 2003, 1992, 1981 (juste avant la plantation), 1979, 1948…
IGN_2003
IGN_1992
IGN_1981
IGN_1979IGN_1948

À travers bois

Juste quelques heures en forêt domaniale de Noiregoutte, où je voulais atteindre l’étang de Jemnaufaing en coupant à travers bois.
Comme toute domaniale qui se respecte, Noiregoutte est une haute futaie bien conduite et bien entretenue. J’y ai longé une hêtraie puis une clairière herbeuse piquée de parfaits sapins de Noël, mais cette domaniale abrite avant tout une pessière très homogène : une plantation d’épicéas reconquise de longue date par les mousses et les lichens, et où ce jour s’invite une brume légère.
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En prenant un peu d’altitude, ce qui n’était que lambeaux et traces de neige s’est vite unifié en un lourd manteau, un épais reliquat des splendeurs hivernales qui, depuis le dégel, recueille tout ce que les arbres livrent au vent : aiguilles mortes, rameaux verts, fines brindilles courbées ou ramifiées, circonvolutions et arborescences des lichens. Quelques petites ailes aussi, enveloppes de graines de sapin et d’épicéa vidées de toute substance nutritive.
Tout cela compose une écriture plus qu’archaïque et plus que fossile, une écriture d’avant les temps, où se fondent cunéiforme et cursif par les brisures et les brèves courbes des aiguilles, idéogrammes et arabesques par les lichens et les rameaux.
Il semble qu’à la surface de cette vieille neige doive s’inscrire l’histoire de chaque arbre et de tout ce peuplement, un récit de transes longues et de chutes tues, une cartographie des souffles et des enlèvements, une calligraphie prolixe emplie des songes solaires et des regards de l’arbre, une épopée traversée par les cerfs et les campagnols.
Un peu de l’âge de l’arbre, un peu de son écorce, un peu de sa chair, en traits et pointillés.
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Au retour j’ai voulu suivre une piste forestière. J’ai marché péniblement sur la neige crouteuse, damée par un engin à chenilles qui avait ouvert dans cette forêt une pure autoroute hivernale à l’usage des skieurs de fond. La trace mécanique me coupait du rythme et des détours imposés par les troncs, les bosses ; j’adoptais un point de vue extérieur au sous-bois et sans m’en rendre compte je progressais mécaniquement, tête baissée, m’enfonçant dans des pensées qui n’avaient plus rien à voir avec le fait d’être là, sous les arbres, avec la neige et les oiseaux, dans un lieu clair et vivant.
J’ai repéré à droite un fossé qui évoquait celui longé à l’aller, lorsque je suivais des bornes de limites communales – Planois et Gerbamont sans doute. Et c’était bien ce fossé. Et l’ayant traversé, guidé à nouveau par les bornes des communes, je constatais que la piste toujours proche était invisible, et je retrouvais les taches de neiges et les flaques d’eau de fonte dans les creux du terrain moussu, les squelettes des cimes brisées, les hêtres rachitiques, les branches sèches, les racines traçantes, les cônes épars et tous ces appels du paysage sylvestre, et toute l’attention qu’ils requièrent.
Ainsi, à vingt mètres près, un monde et un chemin qui se découvrent de tronc en tronc, en échange de la hâte et de l’oubli de soi.
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La forêt hors du temps

En aval de l’île Nancy s’étire une forêt sans âge. Une forêt de l’oubli. Une forêt druidique – il n’y manque qu’un chêne. La forêt de Perceval, le chevalier naïf, héros de la quête d’un Graal qui serait ici figuré par un oiseau fuyant, multicolore, totémique. La forêt de Merlin, ou celle de Robin, d’un Robinson plutôt, s’agissant d’une bande de terre cernée par les eaux de la Seine. Un territoire mince, effilé, où s’insinuent pourtant l’étrange, l’archaïque, l’exubérant. Où sombrent les heures, où s’effacent les repères. D’où surgit le merveilleux.

Les arbres y croissent et s’y côtoient en totale liberté. C’est un fait assez rare aujourd’hui pour que l’on s’y arrête. En Europe, la forêt originelle s’est construite d’elle-même au fil des ères géologiques, jusqu’à l’apparition du moine et du paysan. Le premier défriche afin de repousser l’ombre qui abrite les divinités païennes, marquant ainsi la frontière qui distingue l’univers sauvage du monde converti. Le second défriche pour mettre en culture les plantes annuelles qui nourriront les villes naissantes et les cohortes industrieuses. À leur suite vient le forestier. Son rôle est de reconstituer une forêt qui produise des bois droits et de bonne naissance. Les difformes, les rabougris, les tortueux, les lents en sont chassés, sans espoir de retour.

Sur cette ancienne île d’en Bas, devenue île Nancy, la forêt, oubliée, ressemble à celle des premiers jours. Non que l’homme ne l’ait jamais pénétrée. On y trouve au contraire les traces d’incursions fréquentes. Mais au moins parce que ceux qui la traversent le font en toute discrétion, sans aucune velléité de la soumettre ou d’en tirer un quelconque revenu.

Ici les arbres naissent, grandissent, se mêlent, luttent, s’imposent et règnent à leur guise. Ils perdurent. Ils mûrissent. Ils vieillissent. Ils s’éternisent. Ils s’obstinent, se figent, se raidissent, résistent. Ils se fissurent, se penchent, se tordent, se cassent, chaque branche à son heure. Ils s’affaissent, ils s’effondrent. Ils s’étendent. Ils gisent. Se délitent, se relâchent, se défont en leur temps.

Toute une vie à défier les bourrasques, la pluie, la foudre, les canicules. Toute une vie debout, à maintenir ouverte une vaste couronne, y accueillir écureuils et oiseaux, donner fruits et graines, nourrir et se nourrir, et dans sa mort nourrir encore, offrir à la terre et à la digestion bactérienne chacune de ses molécules, chacun de ses songes. Dans sa chute, un arbre en meurtrit trois. De sa souche, de ses cellules, trois autres renaissent. Cicatrices, torsions, rejets, fourches, nœuds. Tout se tourne et s’entortille, en quête de lumière. Ici le lierre saisit tout, recouvre tout. Ici ce sont des herbes hautes qui occupent le sol, ménageant des clairières. Ici toutes les graines d’un arbre maître, ayant germé ensemble, s’élèvent en un taillis serré d’arbres frères et bientôt fratricides.

Et cela est une forêt, emplie de souffles et de voix étranges qui captivent l’explorateur, le happent, qui l’attirent dans un creux, vers une clairière ou un bosquet, et l’égarent, l’ensorcellent à son insu, substituant une rive à l’autre, esquissant des chemins de motifs sibyllins.

Parmi les érables et les frênes on rencontre aussi les survivants d’anciens jardins. Des arbres qui ne purent arriver seuls sur l’île et, donc, y furent plantés. Épicéas ou cyprès, peuplier d’Italie ou noyers dont les fruits, des noix énormes, feraient encore la renommée d’un verger.

Il n’y a qu’un siècle, peut-être, que cette forêt fut rendue à elle-même. À en découvrir le peuple arborescent, à s’y laisser conter les vies qui enflent sous l’écorce, ce siècle en paraît cent.

« Sculpture en l’île »

Sculpture en l'île - Homme renversé de Benoit Péribère

« De la source à la confluence »

Parcours « Art & Nature » sur l’île Nancy, à Andresy, dans le cadre de « Balades en Yvelines 2012 ».

Du 11 mai au 23 septembre 2012. Accès libre.

En couverture du catalogue, « Wind » de Pedro Marzorati

La balade prend un air d’échappée à l’embarcadère, face à la Mairie qui offre la traversée à tous les visiteurs : l’île Nancy, son bac et ses passeurs municipaux ! La brève dérive en courbe sur un bras de la Seine ouvre une parenthèse dans le quotidien. Le catalogue est à votre disposition sur le pont, c’est un guide pour le parcours : débarquez avec !

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Arbre isolé

Peuplier d'italie arbre remarquable de l'île NancyPopulus nigra var. italica (peuplier d’Italie)

 

 

 

 

Visible des rives de la Seine, ce peuplier d’Italie est un oriflamme dressé sur l’île Nancy pour en attester la conquête. Sa silhouette élancée est un artifice familier des paysages habités, un archétype sous contrôle dont la propagation dépend exclusivement de l’homme. Les peupliers en effet, noirs, blancs, grisards ou trembles, portent soit des fleurs mâles soit des fleurs femelles, ce qui détermine leur rôle dans la reproduction de l’espèce. Or le peuplier d’Italie est issu de la mutation génétique d’un peuplier mâle et on n’en connaît aucun spécimen femelle. Les botanistes n’ayant jamais obtenu, par la fécondation de proches cousines, un arbre aussi parfait que l’original, c’est donc le même sujet que l’on multiplie par bouturage depuis son introduction en France au 18ème siècle

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Arbre penché

arbre remarquable de l'île Nancy : peuplier inclinéPopulus nigra (peuplier noir)

 

 

 

 

 

Il annonce sa chute. Il la retarde. Colossal mais insolemment oblique, il attrape le ciel par une diagonale que l’on voudrait gravir.

De son pied à l’origine s’élevaient deux troncs jumeaux. Dominant leurs pairs, souverains symbiotiques de cette forêt insulaire, ils étaient deux titans invoquant l’épopée. Aujourd’hui l’un des arbres a disparu, foudroyé ou abattu par le vent. Il n’en reste qu’une courte façade d’écorce creusée d’une blessure et une bille à l’écart qui se rend à l’humus. Privé d’une moitié de lui-même, le jumeau survivant a investi le système racinaire du double terrassé. Dans ces méandres souterrains il reste entier, fusionnel. En surface, amputé, il lutte contre une plaie qui fait de lui un monument fragile et condamné. Au collet l’écorce se déchire ; le dévers s’aggrave inexorablement ; le long du tronc des champignons, anticipant sa fin, ont déjà entrepris de le digérer.

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Arbre enlacé

Ailante enlacé détail arbre remarquable de l'ile NancyAilanthus altissima (ailante)

 

 

 

 

 

C’est un voyageur : l’ailante, alias « faux vernis du Japon », ou encore « arbre du ciel ». Son nom contient des envols, mais il désoriente par l’annonce d’une fausse ascendance, otage d’aubes confisquées. Originaire de Chine et introduit en Europe suite à une confusion avec l’arbre à laque – le vrai « vernis du Japon » – ce monte en l’air est un passager clandestin de la botanique, qui n’a pas tardé à révéler son caractère ingrat et intrusif (comprendra qui cherche à se débarrasser d’un ailante dans son jardin !).

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Arbre scarifié

Erable scarifié arbre remarquable de l'île NancyAcer pseudoplatanus (érable)

 

 

 

 

 

Il intrigue. Piétiné pour avoir jailli au milieu d’un sentier, son tronc s’est couché sous les pas, rampant pour atteindre le bord et revenir à son élan de verticalité. Ainsi il survit à une première épreuve mais aussi, par la cambrure qui en résulte, il s’expose à être remarqué.

Le pourtour de son tronc est bosselé de verrues alignées verticalement. La régularité de ces marques déconcerte. Elle témoigne d’un projet extravagant et donne à cet arbre l’allure d’un corps scarifié plutôt que mutilé, un corps qui reviendrait à une de ces régions du monde où la beauté d’une femme et son appartenance ethnique s’évaluent aux motifs des cicatrices qui ornent son buste et son visage. Signature alors, plutôt que torture ?

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Arbre noyé

Peuplier brisé arbre remarquable de l'île NancyPopulus nigra (peuplier noir)

 

 

 

 

Il s’abandonne au flux, au pouvoir du fleuve, à l’expression des flots. Précipité de l’élément air vers l’élément eau, il réalise le destin d’un arbre de rive : longtemps agitées par la brise, désormais ses branches sont tourmentées par les remous. Dans la profondeur trouble des moirés et des tourbillons il est soumis à une force étale, absolue, obstinée. Il perce ainsi le secret des rides et des clapotis qui bercèrent son existence – l’assoupirent, ou parfois la forcèrent.

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« Les vertiges de la forêt »

Petite déclaration d’amour aux mousses, aux fougères et aux arbres

« Les vertiges de la forêt » de Rémi Caritey, édité chez Transboréal dans la collection « Petite philosophie du voyage ».

"Les vertiges de la forêt, petite déclaration d'amour aux mousses, aux fougères et aux arbres" de Rémi Caritey, édité par Transboréal

« Les vertiges de la forêt, petite déclaration d’amour aux mousses, aux fougères et aux arbres »

 

Depuis trente ans je fais l’écureuil ! Pour la récolte des graines d’arbres, dans des peuplements sélectionnés par les pépinières forestières. Je traverse l’Hexagone pour me hisser au faîte de sapins, d’érables, d’épicéas et de frênes remarquables, et je cueille leurs fruits.
 À l’invitation des éditions Transboréal, je m’aventure dans « Les vertiges de la forêt » à la découverte de ce que murmurent les cimes des feuillus et des résineux dans lesquels je passe mes journées de récolteur. Je cherche à transmettre les rêves qui naissent des bivouacs sylvestres au coeur des massifs des Landes, des Pyrénées, du Massif central, du Luberon ou du Jura. En même temps que les paysages c’est la profondeur mythologique et légendaire de la forêt française qui est traversée. Et avec la découverte de la forêt tropicale en Côte d’ivoire et au sud du Sénégal, la présence des bois sacrés confère une dimension initiatique à ce cheminement sous l’ombre des grands arbres.

 

 

LES VERTIGES DE LA FORÊT

Collection « Petite philosophie du voyage »

www.transboreal.fr

ISBN : 978-2-36157-025-5 (code-barres : 9782361570255)

89 pages, prix public TTC : 8 €